Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
COMICSOLOGIE
5 mars 2011

Deadpool - Il Faut Soigner Le Soldat Wilson.

Dans un sens, à l'heure où tout un tas de geeks sont prêts à bouffer n'importe quoi pour peu que cela respecte leur vision étriquée des comics qu'ils aiment (mais que visiblement, ils ne comprennent pas : pour de plus amples informations, rendez-vous sur les différents forums évoquant les premières images du reboot de Spider-Man; à ce titre, un de ceux trouvables sur Jeuxvideo.com décroche le pompon), on peut dire que cette mini-série consacrée à Deadpool tombe vraiment à point nommé.

Mais avant d'aller plus loin, petit rappel historique : qui est Deadpool ? Deadpool est supposé être un projet d'arme expérimentale classée top-secret par le gouvernement américain. Génétiquement modifié grâce à un mélange contenant différents ADN de mutants (le principal étant le facteur auto-guérisseur cher à Wolverine), le soldat Wade Wilson, alors agonisant suite à un cancer en phase terminale, devient l' Arme XI, dans un premier temps; puis, beaucoup plus rapidement, Deadpool. C'est là tout l'intérêt du personnage : on ne sait pas véritablement comment il est passé de Arme XI à Deadpool. Ce qui est certain, et c'est un fait qui revient régulièrement dans les récits qui lui sont consacrés, les expériences qu'il a subi lui ont considérablement endommagé la cervelle. En conséquence de quoi, l'anti-héros balance à intervalles réguliers des vannes plutôt vaseuses qui ne font rire que lui (et généralement, le lecteur) mais qui agacent profondément ceux qui croisent son chemin. Mais surtout, et c'est là le point le plus intéressant concernant Deadpool, il détient un "pouvoir" unique dans le Marvelverse : celui de briser la règle du quatrième mur. En clair, Deadpool se tourne régulièrement vers le lecteur pour énoncer son point de vue, expliquer des faits connus de lui seul ou lui faire des coups-de-coude complice (généralement pour balancer une de ses fameuses vannes). Plus important encore, ce "pouvoir" a une autre conséquence : Deadpool sait qu'il est dans une BD; ainsi, il n'est pas rare de le voir commencer à discuter de Steve Ditko avec Spidey (qui n'y comprend jamais rien et le regarde avec un air ahuri), d'indiquer à ses coéquipiers de se dépêcher, car nous sommes déjà à la 20ème page, voir même d'interpeller son propre scénariste pour lui dire qu'il trouve les dialogues ou les rebondissements plutôt mauvais. C'est précisément sur ces deux points (les origines incertaines + son obsession à foutre la merde grâce à son "pouvoir") qui sont au centre de ce récit scénarisé par Duane Swierczynski, un auteur relativement inspiré sur un titre comme Punisher : Max, mais qui fait ici des merveilles.

image_gallerySi les origines de Deadpool sont si incertaines, c'est parce qu'elles changent constament. Deadpool lui-même a déjà dit lors d'un de ses récits que ses origines "varient selon celui qui les écrit". Au gré d'un point de départ malin (suite à un massacre complet dans un bled paumé au Mexique, les autorités américaines arrivent à capturer Deadpool, qui se voit obligé de témoigner devant le sénat et à révéler ses origines), l'anti-héros le plus siphonné du Marvelverse va se charger de faire son show devant des sénateurs dépités. Ainsi, cette fois, Wade Wilson s'est avéré être un soldat valeureux et apprécié (selon lui) ou un petit imbécile arrogant (selon les services secrets, qui enquêtent sur lui en parallèle du récit principal). Là où les deux versions s'accordent, c'est qu'il est bien devenu l' Arme XI, s'est choisi un costume (celui de Deadpool, évidemment) et a fait partie d'une équipe composée par le gouvernement où, au côtés de Bullseye, Domino et Silver Sable (des personnages secondaires récurents dans différentes histoires du Marvelverse) il s'est chargé de laver le linge sale des services secrets. Voilà pour les origines...du moins pour cette fois. Car ce qui compte le plus ici, et c'est ce qui intéresse visiblement plus Swierczynski, c'est la façon de révèler ces origines.
Tout au long du récit, Deadpool va se contredire lui-même, faire des références incompréhensibles pour les autres personnages aux Vengeurs et au X-Men, se foutre ouvertement de la gueule des sénateurs (le passage où il retire son masque pour laisser voir le visage de Michael Jackson avant d'entonner "Wanna be startin' something" vaut son pesant de cacahuètes), mais surtout, et sans qu'on ne puisse s'en rendre compte avant les dernières pages (et en réflechissant un peu, et non pas en avalant bêtement pour dire "c t tro nul 7 histoir, lol"...spéciale dédicace aux geeks sus-cités), va mener royalement le lecteur en bateau.
De prime abord, la fin du récit peut faire croire à un coup de génie qui a mal tourné pour partir en couilles. En révèlant l'origine de son "pouvoir", et par extension les véritables origines de Deadpool, on peut penser que Swierczynski a fait une énorme boulette. Sauf qu'en réflechissant un peu, il apparaît clairement que le lecteur a été floué (en bien, j'entends). Ainsi donc, Deadpool est bien l' Arme XI, mais il a sérieusement dégénéré au point d'être retenu à l'asile, condamné à s'occuper en dessinant ses aventures fantasmées en tant que Deadpool.
Problème : cette fin est basée sur le récit des services secrets (ceux qui enquêtaient en parallèle). A priori, c'est donc la vérité, étant donné que eux ne se sont jamais contredit là où Deadpool n'a fait qu'enfumer son auditoire à longueur de temps. Là où le problème intervient, c'est lorsqu'on repense à ce passage où Deadpool, en brisant une fois de plus la règle du quatrième mur, révèle que les services secret tels que dépeints dans ce récit sont le fruit de son invention, qu'ils n'existent que pour révèler aux lecteurs des faits qu'il n'avait pas le temps d'énoncer lui-même.
Partant de ce constat, la vraie fin est donc celle où Deadpool a fini son boulot de mercenaire (en gros : faire péter le sénat) avant de s'enfuir en amoureux avec Domino. Problème, cette fin se finit en queue de poisson, se rendant caduque elle-même.
A partir de là, le lecteur lambda qui ne réfléchit pas à ce qu'il lit (vous savez, le gugusse que vous croisez parfois dans des salons consacrés aux comics et qui s'excite tout seul parce que Gwen Stacy est le personnage féminin principal du nouveau film sur Spidey) ne cherche pas plus loin, est complètement destabilisé, et referme son livre en rage (ce que Deadpool avait prévu deux pages avant la fin en annonçant "je vous entends râler d'ici !"), avec l'idée en tête que Deadpool n'est qu'un pauvre malade mental en plein délire dans un asile (voilà une inception bien plus efficace que celle orchestrée par Nolan...hé hé. C'est marrant d'emmerder les geeks pas futés, je m'éclate à faire ça). Sauf que non, et tous ces lecteurs feraient mieux de réfléchir deux secondes et de repenser à ce qu'ils ont lu. Et surtout, à se servir de la culture qu'ils sont prêts à défendre bec et ongles sur les forums sans visiblement bien la comprendre.

transformers_2_nouvelle_affiche_L_1Bon, reprenons. On a vu que la version des services secrets n'est pas la bonne, puisqu'elle n'est qu'une invention de Deadpool. Comme d'habitude avec Deadpool, il nous sert des références au cinéma. Ici, ce sont deux (enfin, trois, pour être plus précis) cinéastes qui vont être cités par Swierczynski pour étayer son propos. Des cinéastes totalement antinomiques, puisqu'il s'agit de Michael Bay et les frangins Wachowski. Lorsque l'un des sénateurs, complètement abasourdi par l'attitude et le récit de Deadpool lui demande s'il se fout ouvertement de leur gueule, Deadpool lui balance que non, et que d'ailleurs son pote Michael bay a déjà acheté les droits, avec comme preuve à l'appui la future affiche du film, raccoleuse au possible (je prends les devants : inutile de m'accuser d'être un frigide de chez Téléramouille, car je suis de ceux qui prennent leur pied devant Bad Boys II. Tout ce que je dis, c'est le cinéma de Bay est le plus grille-neurones qui soit...ça m'empêche pas de m'éclater devant les deux Bad Boys et même Transformers 1, mais pas le 2, faut pas pousser non plus). Swierczynski en est visiblement conscient, et en sortant des pétarades et des vannes vaseuses à tout va avant de sortir que tout ça sera bientôt dans un film de Bay, il cherche juste à signifier que tout ce que l'on vient de lire n'a aucun sens (en même temps, c'est aussi pour ça que j'aime Bad Boys II, hein...du coup, forcément, le gros bourrin qui someille en moi s'est bien éclaté avec ces 3 premiers chapitres de l'histoire). On a eu ce que l'on voulait (de la dynamite, de l'humour pas finaud et des filles canon en petites tenues), et d'ailleurs on ne peut pas reprocher au lecteur d'être venu y chercher tout ça dans une histoire de Deadpool, car c'est un peu à ça que sert le personnage. Un peu, mais pas seulement.

a_shot_from_the_matrix_trilogy_7071Et c'est là que va intervenir la citation des Wachowski, et plus particulièrement de leur trilogie phare, Matrix. Déjà, pour signifier la subtilité propre à leur cinéma, Swierczynski ne va pas les citer nomément, mais en reprenant un des plans les plus marquants de la trilogie Matrix : Néo levant la main pour stopper des balles. Sauf qu'ici, évidemment, Néo est remplacé par Deadpool. A partir de là, Deadpool va s'adresser au lecteur, expliquant entièrement, et par A+ B, de quoi il retourne. Sauf qu'il s'agit là d'un passage explicatif, pas très fun, voir même assez complexe si l'on a mis son cerveau en mode "lecteur passif", donc quand Deadpool le fait suivre directement par une pseudo-conclusion gnan-gnan avec un peu d'humour vaseux, le gros beauf qui veut juste que "ça pète et qu'on rigole et qu'y ait de la fesse, ouais !!!!!" oublie tout de suite ce qu'il vient de lire, et s'embrouille lui-même le cerveau en se concentrant sur ce qu'il est venu chercher dans ce comic. En gros, Swierczynski a utilisé sur son récit le même stratagème que les Wachowski sur leur film, en forçant les lecteurs à s'aveugler eux-mêmes. Et hélas pour eux, encore une fois, ils sont tombés dans le panneau. Quelle est donc la vraie fin, dès lors ? Il "suffit" (je le mets volontairement et ostensiblement entre guillemets, parce que pour certains geeks, ce "suffit", c'est déjà beaucoup leur demander) de relire certains passages et de se creuser le ciboulo un minimum. Pas de conclusion gnan-gnan ni de twist galvaudé, juste le fait que Deadpool va continuer a bien se marrer dans son coin. Ce qu'il a toujours fait. Ce qu'on ne peut comprendre qu'en réfléchissant un peu.

Voilà tout l'intérêt de ce récit, en gros. Mis à part dans de trop rares histoires, Deadpool était toujours un sympathique fouteur de merde qui vient rigoler avant de repartir sans que son intervention n'ait de réelles conséquences. Alors que le personnage à un potentiel de trickster énorme (pour ceux qui ne savent ce qu'est un trickster : pour la faire courte, c'est un personnage tellement rusé et intelligent qu'il arrive à anticiper tout ce qui peut lui arriver au point d'influer sur les destins de certaines personnes proches dans le but premier de foutre une belle merde et de bien se marrer. A titre d'exemple, le personnage d' Eric Cartman de la série South Park tel que vu dans le célèbre épisode "Scott Tenorman doit mourir" est un bel exemple de trickster). Ce potentiel a été rarement exploité dans le passé; mais ici, il l'est plus que jamais. En effet, en s'avèrant plus puissant que les autres personnages du récit, et même plus puissant que le lecteur, Deadpool en vient à influer sur son propre récit, un exploit casse-gueule que peu d'auteurs avant Swierczynski avaient osé tenter. Bien souvent, le personnage se sait très puissant, mais se contente de s'en servir pour vanner ses co-équipers éphémères. Ce qu'il fait en partie ici, mais en allant bien plus loin dans sa démarche. Pour que le lecteur soit récompensé en comprennant qu'il vient de lire une grande histoire de Deadpool, plus ambitieuse, respectueuse et valorisante pour le personnage que tout ce qu'on a pu lire jusqu'à présent; il est forcé de réfléchir, et ne peut se contenter de faire ce que font malheureusement trop de lecteur de comics : lire le récit passivement, pour s'évader mentalement avant de ranger bien sagement le recueil dans la bibliothèque. Mieux encore : par le biais de cette réflexion imposée, le lecteur est amené à s'interroger sur ce qu'il lit, sur le pourquoi de sa passion et de son amour pour les comics en général. Veut-il se contenter de récit usés jusqu'à la corde dont les situations ont toutes un goût de déjà-vu, ou bien veut-il de l'innovation et du transcendental ? En gros, veut-il de la qualité qui respecte son intelligence, ou du médiocre qu'il n'est finalement qu'une insulte ?

MEX1985MA01Cette remise en question du médium et de ceux qui le lisent rejoint par certains aspects la démarche de Mark Millar sur Kick-Ass et Marvel 1985 : une subversion sans concessions, qui invite violemment le lecteur à COMPRENDRE ce qu'il lit, afin de l'inviter à refuser le médiocre pré-fabriqué et périssable (ce qui représente hélas pas mal de comics publiés par les deux géants que sont Marvel et DC...la preuve, ce tocard de Jason Aaron qui se voit confier de plus en plus de séries) et l'endormissement qui en découle, avec toutes les conséquences que cela implique (le reboot de Spider-Man et autres aberrations cinématographiques du style Iron Man 2, par exemple, rendues possibles grâce à cet endormissement); pour ne plus se concentrer que sur des publications dignes de ce nom, qui respectent le médium en le considérant comme un art à part entière et non plus comme un simple bien commercial. Par extension, les-dites publications respectent également le lecteur, vu comme un oeil critique et non pas comme un porte-monnaie ambulant. En ce sens, un récit comme celui chroniqué aujourd'hui revêt une importance capitale dans l'industrie des comics.

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Mais de rien, c'est à ça que sert le blog !
C
Wow...! <br /> <br /> Quand j'ai lu ce comic pour la première fois après me l'être acheté, j'en suis ressortie hyper frustrée. J'avais vraiment l'impression qu'il me manquait un truc, et qu'il y avait dans ces pages quelque chose qui m'avait échappé, que c'était juste carrément impossible que ça se finisse comme ça. Pour tout dire, la première fois que je l'ai lu c'était tellement rapidement (je l'avais pas encore acheté) que j'avais pas du tout cherché à comprendre la fin. Mais ces derniers jours, ça a pas arrêté de me trotter dans la tête jusqu'à ce que je me décide à vraiment chercher LE fameux truc. Je l'ai relu une fois, et à la fin, cette ignoble sensation de frustration est arrivée. Swierczynski avait très bien réussi son boulot, et j'étais tellement perdue que j'ai même demandé à un ami de le lire et de me dire en quelle 'version de la fin' il croyait. Ca m'a pas trop aidé, puisqu'il a fait exactement comme ci-dessus, fermé le livre en me disant que c'était trop nul. Bon, d'accord... J'étais pas très avancée, quoi. <br /> J'avoue que j'ai même abandonné trouver un jour ce qui était vrai dans cette histoire. Et puis je tombe sur ce bel article~ Et je ne peux que'être heureuse (et me sentir bête, fffff).<br /> Ce comic avait vraiment besoin d'être décortiqué comme tu l'as fait (heum, je tutoies, désolée).<br /> Et j'avoue que si Deadpool avait été "dégénéré au point d'être retenu à l'asile, condamné à s'occuper en dessinant ses aventures" ; ça ne m'aurait pas déplu. Je trouve ça au contraire plutôt sympathique. Pourquoi, je ne sais pas, peut-être parce que ça casse un peu le stéréotype du super-héros de base. Et peut-être parce que je suis une fille.<br /> <br /> En tout cas je te remercie grandement ^.^
COMICSOLOGIE
  • Un blog centré sur la culture comics. Avec des chroniques de mes dernières lectures, et d'autres articles concernant des choses se rapportant de près ou de loin à cette culture. Excelsior !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité