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COMICSOLOGIE
22 août 2013

Kick-Ass 2, un film de Jeff Wadlow.

Pour bien comprendre où réside toute la réussite de Kick-Ass 2 version ciné, il faut revenir à la source de l'oeuvre. Par là, je n'entends pas seulement sa version papier, mais je veux surtout dire s'attarder un peu sur l'homme derrière l'ado en combi de plongée aux aspirations super-héroïques : Mark Millar.

Toute l'oeuvre de cet auteur a toujours reposé sur trois points essentiels qui parcourent tous ses travaux, chacun de ces points étant développés de façon plus ou moins importante selon les graphics novels, mini-séries ou arc narratifs qu'on lui doit :

-une réflexion sur le geek en général, sa passion (au singulier, car chez Millar le geek est toujours un bouffeur de comics avant tout), et sa façon de l'appréhender et de la vivre.

-une réflexion sur le super-héros, ses motivations, ses craintes, sa raison d'exister et sa nécessité dans le monde où il évolue.

-l'envie pure et simple (et souvent franchement jouissive) de brandir un gigantesque doigt d'honneur décomplexé à l'establishment, que celui-ci soit culturel, politique ou social.

S'il fallait choisir une oeuvre de Millar pour servir d'exemple aux points énumérés ci-dessus, on pourrait utiliser ceux-là : Marvel 1985 pour la réflexion geek; Old Man Logan pour la réflexion super-héroïque et Wanted pour l'envie de foutre la merde (par contre, le navet informe avec Angelina Jolie qui en a été tiré, on va tâcher de l'oublier, merci). Ces trois titres sont ceux qui illustrent le mieux la pensée de Millar dans toute sa carrière.

Marvel_1985_variant_covers

Dans Marvel 1985, le héros se nomme Toby, c'est un pré-ado qui bouffe du comic-book à la pelle et qui découvre que les personnages du Marvelverse ont trouvé une faille dimensionnelle qui leur permet de passer dans notre monde... Le hic étant que les personnages en question sont les super-vilains, et pas les super-héros.

Ce postulat de base qui est apte à faire baver n'importe quel lecteur de comics digne de ce nom est le point de départ à partir duquel Millar établit à la fois une déclaration d'amour aux lecteurs tout en leur intimant violemment l'ordre de se remettre en question. Pour Millar, le passioné ne doit pas se contenter de vivre sa passion comme un échappatoire à un quotidien morne au risque de s'y enfermer, il doit la sublimer, s'en servir pour évoluer, pour affronter le monde et même pourquoi pas essayer de le changer comme il peut (et si vous voyez un rapport avec un certain ado en combi de plongée armé de bâtons, c'est tout à fait normal). Ainsi, le jeune Toby, armé des valeurs que lui ont incluqué les heures passées à lire des comics n'hésite jamais à s'aventurer dans un univers qui n'est pas le sien pour y chercher du secours; et pousse même son courage jusqu'à combattre aux côtés des super-héros tout en étant dénué de super-pouvoir. Et dans le même temps, ses rares amis lecteurs de comics préfèrent assister au spectacle avec des airs d'ahuris, comme si la destruction de leur ville par le Lézard, Electro et autres n'était qu'une énième scène d'action sur une page de comic. Une léthargie consternante qu'ils paieront bien sûr chèrement; sans parler du geek légèrement arriéré que Toby se traîne en guise de père, et qui finira littéralement enfermé dans ses références dans une pseudo happy-end qui le voit vivre dans le Marvelverse pour l'éternité, faux paradis dans lequel il n'est qu'un énième figurant sans la moindre importance là où dans le monde réel, son fils a su sublimer sa culture et son vécu pour devenir un auteur respecté. En poussant même un peu plus loin l'analyse, il est permis de voir le père devenu un pantin aux mains des scénaristes du Marvelverse, qui comprennent donc son fils. La réflexion consacrée aux geeks est évidente, de même que le point de vue de Millar sur la question : celui qui gobe tout sans recul ne fera que stagner voir régresser là où celui qui pense et apprend ne peut qu'atteindre un niveau supérieur.

OldManLogan

Concernant Old Man Logan (probablement le meilleur récit dédié à Wolverine à l'heure actuelle), Millar est, comme cité plus haut, motivé avant tout par l'envie de décortiquer la figure super-héroïque. Le fait qu'il le fasse via un personnage aussi ambigu que Wolverine est déjà annonciateur de la direction que va prendre sa réflexion. Sans cesse sur la corde raide, Wolverine peut se montrer tout aussi radical que modéré, capable de faire équipe avec un cinglé comme Deadpool avant de le combattre quelques épisodes plus tard en fonction des évènements en cours, capable de faire équipe avec les X-Men en calmant ses ardeurs avant de s'éclipser plusieurs jours pour vadrouiller en solo en n'hésitant jamais à trancher tout ce qui bouge. Wolverine est un personnage à part, un super-héros à n'en pas douter mais coincé dans une condition de justicier (à moins que ce ne soit l'inverse ?), un type tout aussi ravagé que le Punisher mais doté également d'une sorte de naïveté qui le pousse à croire, à la manière d'un Spider-Man, que rendre le monde meilleur est possible. En plongeant un personnage pareil dans un monde post-apocalyptique où il est l'un des derniers super-humains en vie, un monde qui plus est tenu sous la coupe de quelques super-vilains suite à la défaite définitive des super-héros, Millar le confrontera à toutes ses contradictions afin de lui permettre d'être enfin en paix avec lui-même après un processus des plus douloureux, mais également de devenir la figure archétypale du super-héroïsme "millarien".

Obligé de refaire équipe avec un super-héros (Oeil-De-Faucon, lui aussi déchu) afin de faire survivre financièrement sa famille, Logan doit transporter un mystérieux colis de la côte ouest à la côte est des U.S.A. en affrontant un monde impitoyable et totalement chaotique où son serment de ne plus jamais se servir de ses griffes (serment prêté suite à un trauma tout aussi génial que cruel qui ne sera révélé que vers la fin du récit) est mis à rude épreuve. Bien sûr, il sera finalement contraint de le briser suite à un coup bas de trop, celui qui le fait basculer du stade de super-héros déchu et pacifique à celui de machine à tuer enragée. En ayant poussé auparavant au maximum la facette idéaliste du personnage, Millar le confronte aux aberrations que cette attitude peut engendrer : dans un monde contrôlé par le mal, une telle façon de faire ne peut que conduire à des morts multiples qu'une attitude plus musclée aurait pu éviter. En lisant le dernier acte où un Wolverine déchaîné se montre plus efficace que lors de tout ce qui a précédé, on pourrait croire que Millar prend le parti d'une violence hors de contrôle qui règlerait tous les problèmes, mais ce serait oublier que l'origine du trauma de Wolverine fut cette même violence. Ce n'est qu'à la lecture des toutes dernières pages que la défintion du super-héros selon Millar prend enfin corps, en montrant un Wolverine passé par tous les extrêmes possibles; et donc enfin doté d'une expérience lui offrant le recul nécessaire qui lui permet d'agir avec sagesse : sans concessions, violemment si nécessaire, en ne pardonnant rien mais en analysant la situation afin d'aplliquer le juste châtiment. Pour Millar, le super-héros pur tel qu'on le conçoit généralement ne peut qu'être voué à l'échec, et n'a au final rien de super si on prend en compte que sa naïveté finira par coûter cher, un coût symbolisé dans le récit par la défaite antérieure des super-héros qui a conduit à la mise en place de ce monde chaotique. Pour cet auteur, et pour au passage tous les grands noms du style grim'n'girtty, le véritable super-héros est celui qui n'hésite pas à se salir les mains car il sait que ses adversaires n'hésiteront jamais à en faire autant. Débarassé de certaines barrières morales absurdes, il est le seul garant d'un vrai changement sur le long terme (ce que suggère la toute dernière case de ce Old Man Logan), un changement que le super-héros "classique" ne pourra jamais enclencher, trop occupé à surveiller le problème plutôt qu'à l'éradiquer.

Wanted

Enfin, pour conclure ce tour d'horizon de l'oeuvre de Mark Millar, Wanted est probablement le meilleur exemple permettant de s'attarder sur la tendance qu'a l'auteur à vouloir littéralement foutre la merde. Un graphic novel complètement enragé, où Millar utilise tous les codes du comic-book (des super-héros, des super-vilains, des batailles épiques, des complots, etc...) pour les corrompre de l'intérieur sans prendre de pincettes afin de renvoyer au public ses attentes (on vient y chercher une histoire fun, et au final tu on s'y fait maltraiter dans tous les sens) pour le pousser à s'interroger sur sa façon de mener sa barque dans le monde. Hyper-violent et dénué de toute idée de concession, le récit cogne sur absolument tout et tout le monde (les riches et les pauvres, les bons et les mauvais, la morale et l'anarchie...) dans un déferlement de rage aveugle se concluant sur un point final aussi douloureux qu'un uppercut.

Wanted est probablement le reflet de la face la plus nihiliste et haineuse d'un auteur pas encore assez doué et mûr pour ordonner tout son propos, mais qui témoigne néanmoins d'un esprit non seulement contestataire mais surtout talentueux (Wanted a beau être un gigantesque bordel, il se suit sans soucis de la première à la dernière page sans la moindre seconde d'ennui ou de relâchement).

Ce qui nous conduit enfin à Kick-Ass, que Millar a toujours annoncé comme étant une trilogie cohérente. De là à y voir son oeuvre majeure, qui contiendrait dans un tout cohérent toutes ses obsessions, il n'y a qu'un pas qu'on peut se permettre de franchir sans soucis à sa lecture.

Car si jusqu'ici les travaux de Millar se concentrent tous sur un de ses thèmes de prédilection à la fois, il faut tout de même noter que les autres ne sont pas pour autant passés à la trappe, mais qu'ils sont juste réduits à leurs portions congrues. Pour revenir sur les exemples cités plus haut, on peut dire certes que Marvel 1985 se concentre très majoritairement sur une réflexion geek mais que la date de 1985 n'est pas non plus choisie au hasard : précédant d'un an la publication de The Dark Knight Returns, le chef-d'oeuvre de Frank Miller que beaucoup tiennent comme le point de départ de la vague grim'n'gritty, elle est l'occasion pour Millar de dépeindre une certaine façon de penser le super-héroïsme arrivée à épuisement (il faut voir comment les héros du Marvelverse y sont vus, véritables caricatures ambulantes de dieux olympiens à la fois blasés et auto-satisfait de leur stature) et qui ne pouvait (et même devait) que changer. Dans le cas d'Old Man Logan, il n'est pas interdit de voir dans l'espoir naïf d'un Oeil-De-Faucon idéologiquement coincé dans un âge d'or révolu, un tacle discret envers le fantasme geek et quasi-enfantin qui veut la réussite constante de personnages profondément bon que leur seule pureté rendrait sans cesse victorieux. Et enfin, l'inversion des valeurs qui parcourt tout Wanted ne peut que conduire à s'interroger bien entendu sur le monde actuel, mais également sur la notion de super-héroïsme (le cadre du récit étant clairement délimité par les codes du comic-book) et par extension sur les attentes du consommateur adepte de ce genre de lecture : le geek, bien évidemment. Par conséquent, bâtir une trilogie cohérente comme Kick-Ass permet à l'auteur de s'attarder à chacun des épisodes sur une de ses obsessions dans le cadre d'un récit complet qui les contient toutes, chacune étant développées successivement pendant que les autres servent en quelque sorte de toile de fond qui enrichit le propos principal, et ainsi de suite. L'idée étant qu'au final, l'ensemble forme un grand tout complet et homogène.

KAC

Et à la lecture de Kick-Ass, c'est bel et bien ce qui ressort : là où le premier tome se consacre sur les fantasmes du jeune geek Dave; le second s'avère être un monument du subversion qui tire à vue; quand aux premiers numéro du troisième et donc dernier volet (actuellement publiés aux U.S.A.), ils laissent déjà entrevoir la fin du parcours du personnage principal vers un véritable statut super-héroïque.

Pour ce qui est de la version ciné du titre, ce n'est hélàs pas vraiment le même son de cloche... Pas que le premier film signé Matthew Vaughn soit mauvais, loin de là, c'est même une très bonne adaptation qui a saisi les grandes lignes du propos de Millar. Le hic, c'est que le film se concentre trop sur une part du premier tome qui reste secondaire, une part qui n'était en l'état présente que pour soutenir par endroits le propos principal, une part qui n'est même d'ailleurs présente qu'à l'état de germes ne demandant qu'à être plus approfondis par la suite, une part qui pourrait se résumer dans cette question qui, comme dit plus haut, parcourt l'oeuvre de Millar : qu'est-ce qu'un super-héros ? Or, la véritable problématique de ce premier tome était de confronter un geek complètement abruti par ses références au monde réél, en lui faisant comprendre que lire des comics à la pelle ne suffisait pas à faire un bon justicier, et encore moins un super-héros digne de ce nom. Plus clairement, et en se séparant de toutes métaphores artistiques : qu'être gavé de références, aussi bonnes soit-elles, ne sert strictement à rien si elles sont mal assimilées. En bref, la question super-héroïque n'intervient que deux fois dans ce tome : au début ("je veux être un super-héros !") et à la toute fin ("je ne suis pas un super-héros, et même pire, je suis toujours une pauvre merde qui vit dans son monde.").

 

 

Kick-Ass_portrait_w193h257

La grosse faute du film est justement de laisser entendre que grâce à ses seules références, Dave peut très vite devenir un super-héros en enfilant un jet-pack pour finalement dézinguer le parrain local au bazooka. Pire, la fin du film s'avère totalement optimiste, Dave ayant entretemps emballé la fille de ses rêves en vivant un bonheur parfait. Sur papier, Dave tirait pitoyablement au revolver sur le parrain ce qui obligeait Hit-Girl à finir le boulot, il n'emballait pas la fille qui le méprisait toujours autant et qui allait même jusqu'à l'humilier en lui envoyant une photo d'elle en train de faire une fellation à son copain; et sa seule réussite consistait à avoir inspiré d'autres paumés qui cherchaient eux aussi à devenir des super-héros (ce qui laissait entendre que la problématique du geek confronté au réel n'était pas encore tout à fait conclue et qu'elle continuerait à nourrir les thématiques à venir). Concernant la majeure partie du film (disons les trois premiers quarts), il n'y a rien à redire; le métrage confronte habilement les fantasmes puérils de Dave au monde réel en le faisant sans cesse morfler, en le rabaissant face à des justiciers expérimentés, et en le faisant passer pour un gay face à la fille de ses rêves. Mais la dernière partie qui le voit triompher sans trop de mal et emballer la fille dans une scène vraiment peu crédible est totalement hors-sujet. Cela déforme le propos portant sur la question geek en le faisant basculer trop vite et sans véritable préparation sur le terrain de la question super-héroïque. Une question qui, n'étant pas la priorité de Millar dans ce tome, ne peut aboutir sur écran qu'à une vision pas assez approfondie du fait qu'elle se base sur des fragments et non sur une réflexion poussée. Qu'est-ce qu'un super-héros ? Là où le film aurait dû répondre "sûrement pas cet ado en combi de plongée", il semble répondre par "un type qui porte un jet-pack"... Ce n'est certes pas désagréable à regarder notemment parce qu'une vraie super-héroïne, en l'occurence Hit-Girl, y est mise en avant (ce qui permet habilement de cacher l'incompétence de Kick-Ass, qui aurait sérieusement dénotée dans le happy-end que le film impose), mais cela reste une faute d'écriture assez flagrante et franchement gênante.

Partant de là, Kick-Ass 2 devait résoudre deux problèmes : être fidèle au ton hautement subversif du second tome, ce qui ne pouvait se faire qu'en corrigeant les défauts du premier film; et ce en étant accessoirement capable de parler à tous ceux qui ne connaissent de cet univers que le film de Vaughn. Un véritable casse-tête dont le film arrive à se dépêtrer haut la main.

Kick-ass_2

Sur papier, Kick-Ass 2 est un grand moment de folie furieuse qui, conformément à la volonté de base de son auteur, tape sur tout ce qui bouge tout en se nourrissant du thème geek (majoritairement traitée dans le premier tome) et du thème super-héroïque (qui est approfondi dans le troisième tome). Millar y fustige à tour de rôle l'incompétence de la police, la corruption des autorités, et enfin la lobotomie culturelle et sociale exercée sur les ados. Et par-dessus le marche, il le fait sans prendre de pincettes, en fonçant dans le tas comme un kamikaze, n'hésitant jamais à en rajouter afin de secouer le lecteur (le meurtre totalement gratuit d'enfants par le Motherfucker en a retourné plus d'un). Clairement, l'adaptation ciné se confrontait à un problème de taille dès sa mise en chantier : là où Millar avait plus ou moins préparé le terrain en ne laissant que très peu de place à l'optimisme à la fin de son premier tome, le premier film souffrait d'un brusque changement de ton qui virait à une happy-end ne laissant aucune voie à une suite aussi furieuse; et ce sans parler de la vision super-héroïque complètement biaisée qu'il imposait, par rapport à celle toujours en gestation (mais dont les différences vis-à-vis de la version filmée sont déjà apparentes) de Millar.

Ainsi, Jeff Wadlow choisit dès le début du film de remettre les choses à plat via un exercice assez périlleux : utiliser la forme utilisée par Vaughn pour mieux la pervertir de l'intérieur, ce qui permet à la fois de créer une vraie cohérence par rapport au volet précédent tout en créant une vraie scission avec celui-ci afin de mieux se rapprocher de la vision de Millar. Le procédé est particulièrement visible lors de la rupture entre Dave et Katie : en réutilisant le principe narratif du malentendu sentimental, principe qui constituait une bonne part du premier film, Wadlow parvient à faire rire tout en redéfinissant pour tout le reste du film ses deux figures principales et en en évinçant une autre devenue gênante. En l'espace de quelques secondes, Dave redevient le loser de son bahut totalement obsédé de super-héroïsme, Mindy redevient une adolescente tiraillée entre ses dilemnes moraux et sa nature profonde, et Katie redevient une véritable garce. Cette scène fonctionne sur plusieurs niveaux : voir Dave passer pour un majeur qui se tape une fille de 15 ans ne peut que prêter à sourire, d'autant plus quand ses potes en rajoutent une couche avec des répliques outrancières ("sur un gazon frais, on joue mieux !"); quand bien même cette humiliation cache une intention secrète de continuer à combattre le crime que Dave ne peut décemment pas dévoiler. De même, voir Katie lui infliger cette humiliation tout en restant incompréhensive et même mesquine envers les explications de celui qui est encore à cet instant son petit ami renforce le côté comique de la scène (surtout quand la meilleure amie de Katie en vient à insulter Dave de pervers avec un air de vieille fille effarouchée), alors que cette attitude montre à quel point elle peut être égocentrique, d'autant plus lorsqu'elle porte un coup verbal fatal envers l'anatomie de Dave. Quand à Mindy, elle est le véritable moteur de la scène : responsable de l'humiliation de Dave tout en étant porteuse des envies super-héroïques de ce dernier qui doivent pour le moment rester bridées; le réel désapointement accompagné paradoxalement de détermination dont elle fait preuve est significatif de tous les dilemnes qui la traversent. Lors de cette seule scène, Wadlow a corrigé les écarts du dernier acte du précédent film (Dave reste ce geek dont les fantasmes sont confrontés à des problématiques réelles) tout en collant au ton instauré par Vaughn. Les rails étant donc enfin solidement posés, Kick-Ass 2 peut se permettre de passer la seconde sans jamais déroger à cette ligne de conduite.

KA 2

Car si tout le film s'inscrit dans la lignée comique instaurée par le long-métrage de Vaughn, il ne cherche pour autant jamais la vanne facile qui serait placée là juste pour le plaisir. Tout le principe comique de ce Kick-Ass 2 va se subsituer aux chocs frontaux chers à Millar. En d'autres termes, là où Millar balance sa subversion via des actes abjects (meurtres gratuits, viol, ultra-violence...), Wadlow va respecter le propos mais en passant par l'humour pour une raison évidente : la crudité du comic-book vaudrait au film un bon gros classement NC-17 si elle était transposée telle quelle. Cela dit, si le principe peut sembler de prime abord hors sujet, il faut voir premièrement que Wadlow utilise les formes les plus extrêmes de l'humour : noir, trash; et jamais consensuel. Et deuxièmement, tous les personnages qui en seront les cibles seront tous des archétypes de ce que fustige Millar. Ainsi, les deux personnages cristallisant le plus cette mise au pilori sont The Motherfucker et Brooke (que l'ont peut aussi nommer comme "la pétasse blondasse qui cherche à formater Mindy").

Les deux personnages sont d'ailleurs complémentaires dans la façon dont ils symbolisent la lobotomie culturelle et sociale exercée sur les ados que Millar a l'habitude de fustiger. Si Brooke est plus le symbole de la partie culturelle de cette lobotomie là où The Motherfucker en symbolise le côté social, tous deux se retrouvent au fond sur la vacuité de leurs existences toutes entières basées sur le paraître. Concernant Brooke, celle-ci est bien trop bête pour se rendre compte que toutes ses références pseudo-culturelles (Union-J, Twilight, Channing Tatum, le R'N'B de supermarché et les sex-tapes de célébrités... sacré CV quand même) l'enferment dans une vie totalement futile qu'elle en vient même à revendiquer lors d'un monologue ahurissant de connerie face à une Mindy qui se retient visiblement de rire. Pour ce qui est du Motherfucker, il est bien trop obsédé par le but de devenir un super-vilain qu'il ne se rend jamais compte de la profonde stupidité de sa démarche qui va à l'encontre de toutes ses lectures de comics passées (et par là même, le film tacle les geeks coincés dans leur univers fictionnel... le propos subversif qui se nourrit du propos geek, on y revient) et qui ne peut aboutir que sur un échec total; préférant plutôt se bâtir de toutes pièces une réputation de super-vilain impitoyable via Twitter (juste après avoir commis un braquage consternant, la seule chose qui lui vient en tête est de twitter qu'il se sent "prêt à baiser l'Humanité") qui lui offre une célébrité non seulement toute relative mais surtout basée sur du vent (chose dont il ne se rend jamais compte du fait de son ego boursouflé).

Mais aussi ridicules soient-ils, Brooke et The Motherfucker n'en représentent pas moins de véritables dangers pour Hit-Girl et Kick-Ass; et les chemins qui les verront se rencontrer sont l'occasion pour le film de se nourrir du propos super-héroïque dans le cas de la confrontation Brooke / Mindy, et du propos geek pour ce qui est de celle opposant The Motherfucker à Kick-Ass. Et inutile de dire qu'au final, toutes les thématiques se rejoindront dans une conclusion cohérente.

HG

Pour ce qui est de la rivalité opposant Brooke à Mindy, la première cherche constamment à affaiblir la seconde en utilisant son point faible : ses hormones d'adolescentes ! Face à cet ennemi insidieux dont elle ne soupçonnait même pas l'existence, Hit-Girl pert de vue ses objectifs (préférant soudainement être intégrée dans une bande de filles populaires plutôt que de cogner des délinquants), tombe dans des pièges grossiers (le faux rencard) et manque au final de perdre tout ce qui fait d'elle Hit-Girl. Ce n'est qu'après avoir enfin pleinement accepté sa condition d'adolescente aux capacités extraordinaires et les responsabilités qui vont avec lors d'un dialogue on ne peut plus significatif avec Dave qu'elle pourra finalement triompher de son ennemie. La scène concluant cette rivalité contient tous les éléments d'une véritable confrontation entre un super-héros et sa némésis : tension exacerbée, long monologue du méchant énumérant ses intentions vomitives (qui, dans le film, lui reviendront littéralement en pleine figure), super-héros démarrant en position d'infériorité (Mindy - Hit-Girl est seule contre trois) et conclusion jubilatoire contenant la morale à retenir. Dans le cas présent, la morale voit se mêler les réflexions super-héroïques et subversives de Millar : dans le monde réel, un super-vilain a toutes les chances d'avoir l'apparence d'une sombre écervelée à la fierté mal placée et capables de multiples bassesses pour atteindre ses objectifs comme Brooke; et le super-héros est celui qui lui fait face pour le rabaisser violemment dans le seul objectif d'essayer d'améliorer la situation. Ce que dit clairement Mindy à sa rivale ("je suis une super-héroïne, et toi t'es aussi malfaisante que n'importe quel truand") avant d'annoncer qu'elle ne la punit que par envie de rendre le monde meilleur. Et lorsque l'on prend en compte ce que Brooke représente en tant qu'élements empêchant le monde d'être meilleur (elle est une fille à papa obsédée par le pouvoir, l'argent et la supericialité), il n'est pas difficile de voir vers qui Millar et par extension Wadlow dirigent leurs attaques.

 

MF

Concernant la rivalité entre Kick-Ass et The Motherfucker, il est important de voir que le premier passe tout le film à vouloir transcender ses références afin que sa volonté de devenir un super-héros prenne corps (il s'entraîne durement et n'hésite jamais à foncer dans une bagarre); là où le second vit dans un fantasme constant duquel son homme de main et son oncle essayent de le sortir sans succès, The Motherfucker appréhendant absolument tout ce qui lui arrive sous un prisme fantasmagorique qui l'empêche de voir à quel point il est pathétique. Préférant sans cesse se consacrer davantage à la forme qu'au fond (en passant énormément de temps à s'agacer de voir que son repère secret n'a pas l'allure qu'il désire, à se tailler une réputation sur Twitter, à chercher des noms et des costumes ridicules à ses sbires), il n'en reste pas moins dangereux tant son envie délirante de passer pour le type le plus méchant de New York peut le mener loin dans sa cruauté... à ceci près qu'il ne se salit jamais les mains lui-même. Quand il s'agit de violer Night Bitch, il se montre littéralement impuissant et laisse The Tumor s'en charger; quand il s'agit de massacrer des flics, il est aux abonnés absent et c'est Mother Russia qui s'en occupe; quand il s'agit de kidnapper Dave, il reste dans son antre pendant que Gengis Carnage part au turbin; et quand il s'agit de tuer le père de Dave, il se contente de commanditer l'exécution. The Motherfucker n'est au final qu'un petit chef gâté qui pique des crises infantiles quand ses désirs ne sont pas assouvis (il faut le voir vider ses chargeurs sur des canettes de soda pour passer sa rage dans une épicerie parce que celle-ci est dénuée de caméra de surveillance dont les enregistrements participeraient à son aura, une scène à la fois hilarante et pathétique), un planqué dont le super-pouvoir, il le dit lui-même, est d'être "bourré de thunes" mais qui jamais ne se foulera quoi que ce soit, préférant toujours profiter des autres et de leurs capacités. Là encore, il n'est pas compliqué de voir qui Millar vise à travers ces attaques. Que l'auteur le fasse via un personnage aussi caricatural, un pseudo super-vilain qui n'est jamais qu'un geek prisonnier de références qu'il ne comprend pas (tous les super-vilains de comics se salissent les mains, lui jamais) et dont il se sert avec une puérilité affligeante montre bien avec quelle absence de considération Millar voit cette partie de la communauté geek. Une vision qui certes parcourt toute son oeuvre, mais qu'il n'avait jamais poussé aussi loin en allant jusqu'à dire clairement que ces geeks ne sont rien d'autre que des têtes-à-claques (pour rester poli). 

Enfin, il est important de noter que dans les deux storylines qui viennent d'être mentionnées dans lesquelles deux piliers de l'oeuvre de Millar sont présents, le troisième y est également, entérinant le fait que le film a parfaitement saisi les obsessions de l'auteur original. En effet, si la confrontation entre Mindy et Brooke traite avant tout de super-héroïsme et de subversion; la réflexion geek fait une apparition non négligeable dans le fait que Mindy se ressource auprès de Dave, autrement dit d'un geek en passe de transcender ses références. De même, la rivalité au propos subversif opposant les geeks Kick-Ass et The Motherfucker voit ce dernier mêler Night Bitch à la confrontation. Que cette dernière, lors de la scène où The Motherfucker tente de la violer, lui tienne courageusement tête tout en étant de plus en infériorité numérique en dit long sur le potentiel super-héroïque qui la parcourt. Qu'elle soit en prime de retour lors du grand combat final ne fait non seulement que confirmer cette idée tout en signifiant que le tout dernier acte du film cherche bien (et réussit, ce qui est encore mieux) à donner une synthèse de tout ce qui a précédé.

Car la dernière partie du film dans son ensemble ne fera que conforter le statut des trois personnages principaux (Kick-Ass, Hit-Girl, The Motherfucker) et donc par extension de tous les propos dont ils sont porteurs, chacun étant représentatif d'un en particulier (la réflexion geek pour Kick-Ass, la réflexion super-héroïque pour Hit-Girl, la suversion pour The Motherfucker) tout en se nourrissant des autres afin d'atteindre la parfaite cohérence scénaristique propre à la saga.

Kick Ass 2 Mother Russia

C'est ainsi que Kick-Ass transcende enfin ses fantasmes geeks pour commencer à atteindre un véritable statut super-héroïque : non seulement en devenant le leader implicite des autres aspirants super-héros, mais en étant surtout reconnu à sa juste valeur à la toute fin par Hit-Girl (super-héroïne accomplie, faut-il le rappeller) au travers d'un baiser qu'elle lui donne assorti de la déclaration qu'il est désormais assez mûr pour voler de ses propres ailes. Hit-Girl qui justement confirme son statut d'adolescente aux capacités hors-normes et à la destinée réellement super-héroïque en battant la terrifiante et surpuissante Mother Russia (qui dans cette optique est beaucoup plus proche que The Motherfucker de l'idée que l'on peut se faire d'un super-vilain) en utilisant toute sa force mais surtout toute sa ruse. Il ne faut pas oublier que dans l'optique réaliste de Millar, un super-héros triomphe autant grâce à son intellect que grâce à ses muscles : la force brute de Mother Russia est donc ainsi contrée par un rebondissement qui a été intelligemment pensé par Hit-Girl. La subversion contenue dans ce personnage est utilisée lors des dernières scènes du film, lorsque l'adolescente se voit contrainte de quitter la ville, obligée de vivre en exil dans une société qui n'est pas (encore ?) prête à accepter son existence, ce qui fait écho à une scène vue bien plus tôt dans laquelle la police arrêtait sans discernement tous les individus costumés, qu'ils soient héros ou vilains. Pour Millar, le super-héros n'est pas seulement confronté à des criminels divers, pour s'en tenir à sa mission de faire le bien, il doit se battre également contre des autorités incompétentes plus occupées à assurer les droits des criminels. Une vision des choses que l'on peut contester mais qui n'en reste pas moins profondément grim'n'gritty et subversive, et que le film n'hésite jamais à reprendre. Quand à son côté geek, il y a longtemps que Hit-Girl l'a transcendé, ce qui n'est pas le cas de The Motherfucker... Son absence de recul vis-à-vis des références qu'il a été incapable d'assimiler, son absence de morale pour arriver à ses objectifs pitoyables de gloire et son attitude détestable de petit chef planqué lui reviendront toutes successivement en pleine face de la part de Kick-Ass, vengeant à tour de rôle une vraie geek ("ça, c'est pour Night Bitch !"), un véritable super-héros ("ça, c'est pour le Colonel !"), et son père vicitime de la cruauté imbécile de ce personnage détestable. Mais The Motherfucker dévoilera véritablement toute la volonté malfaisante qui l'anime en refusant que Kick-Ass le sauve, préférant se suicider afin d'entâcher l'aura du héros (ce qui est par ailleurs une référence évidente à la mort du Joker dans The Dark Knight Returns, accentuant encore le constat que Millar a tout compris aux thématiques inhérentes au style grim'n'gritty). Ce n'est que face à la mort que The Motherfucker prendra enfin conscience de toute la stupidité de sa démarche, se ravisant beaucoup trop tard pour tenter d'éviter l'inévitable : la punition radicale que Millar et Wadlow réservent à ce genre d'individus. Enfin, ce n'est que suite à cette punition qui lui permet de se rendre compte que le temps des fantasmes est défintivement révolu (au cours d'un monologue intérieur bien plus logique et convaincant que celui qui concluait le premier film) que Kick-Ass envisage plus sérieusement que jamais son avenir super-héroïque : loin des aspirations de coolitude qui continuent de le parcourir dans le film (et qui lui coûteront une dispute aux conséquences terribles avec son père, renforçant l'idée que mal assimiler ses références ne peut qu'avoir une triste issue), loin des envies d'aventures qui le motivaient en grande partie au début de son périple; mais juste poussé par le besoin d'aider qu'il résume parfaitement par les paroles qui ponctuent l'avant-générique ("On n'a pas besoin d'un bouffon en combi de plongée. Il faut un vrai cogneur. Un vrai super-héros. Un vrai Kick-Ass"). Et le film de se conclure sur une image ouvrant la voie aux réflexions super-héroïques propres au troisième tome de Millar (et à un probable troisième film, par extension).

Night_bitch

Avec une telle fidélité à l'oeuvre d'origine, Kick-Ass 2 pourrait passer sans soucis pour le film le plus génialement grim'n'gritty jamais réalisé, loin des atermoiements poseurs d'un Nolan sur Batman (qui s'inspirait ouvertement de la vision de Frank Miller sans jamais la comprendre, ce qui ressemblait plus au final à une exploitation grossière et auto-satisfaite du travail d'un auteur génial). Mais cela n'est possible que parce que Wadlow a parfaitement étudié le matériau d'origine afin de l'adapter à une écriture cinématographique en poussant très loin les bonnes idées du premier film tout en corrigeant les mauvaises. C'est à dire non seulement en défrichant les comics pour en obtenir à chaque fois la substantifique moëlle (en fusionnant par exemple en un seul personnage le Colonel Stars et le Lieutenant Stripes pour aboutir au personnage de Jim Carrey qui a auprès de Kick-Ass le rôle d'un mentor dont la mort et la vengeance de celle-ci sont lourdes de sens), mais surtout en collant à ce défrichage un traitement comique similaire à celui du film précédent mais qui, à l'inverse de celui-ci, participe cette fois pleinement au propos. La revanche de Mindy sur Brooke en est un bon exemple, le traitement trash lui étant appliqué résumant en quelques secondes et de façon hilarante plusieurs pages de Millar et Romita Jr.. De même, la punition de The Motherfucker permet à Wadlow d'humiler une dernière fois ce personnage via un gag prévisible mais à l'humour noir cinglant là où reprendre la punition d'origine aurait eu moins d'impact. La partie la plus magistrale de cet exercice d'écriture réside dans le traitement du viol de Katie, éprouvant sur papier : à l'écran, lui subtiliser Night Bitch permet non seulement de donner de l'importance à cette dernière en lui adjoignant un propos super-héroïque sous-jacent tout en humiliant The Motherfucker via un imprévu qui tout d'abord prête à sourire (surtout quand elle se moque ouvertement de lui, ce qui accentue sa caractérisation super-héroïque en montrant tout le courage qui l'anime), avant que le voir réagir de façon encore plus cruelle enfonce le profond mépris à avoir face à ce personnage. Comme dit en début d'article, Wadlow se sert de l'humour hérité du film pour Vaughn pour accentuer le côté profondément pathétique des cibles visées par le propos subversif de l'oeuvre. Tout le film est composé de ce genre d'idées et de scènes qui caractérisent de façon directe les personnages et ce qu'ils représentent afin que le rythme comique ne soit jamais relâché pour participer activement à la narration au lieu d'être un simple plus.

Pour la grande intelligence avec laquelle il est pensé et pour le grande qualité formelle qui l'accompagne (les scènes d'action sont bien plus lisibles que chez Vaughn), Kick-Ass 2 est définitivement une date dans l'histoire des adaptations de comics.

 

 

 

 

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